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Nature et culture

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Par Raphael Enthoven

INTRODUISONS LES NOTIONS

La culture désigne d'abord l'ensemble de ce qui fait l'objet d'un apprentissage, l'ensemble de ce qui ne nous est pas donné à la naissance, mais qu'il nous appartient de découvrir au cours de notre vie. Ce terme désigne aussi, non plus seulement le processus de formation de l'individu, mais les institutions, les comportements, dans le cadre desquels il accomplit cette formation.
La nature, qui vient du latin « nascor » signifiant « naître », désigne l'ensemble de ce qui nous constitue originellement, que nous le voulions ou pas. Dire « c'est dans ma nature », c'est dire « c'est plus fort que moi ».

ALLONS UN PEU PLUS LOIN

En quoi peut-on dire que les animaux n'ont pas d'histoire ? En ce que, comme le montre Rousseau, dans son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, un animal ne saurait s'affranchir de ce qu'il est déterminé à accomplir, alors que l'homme se distingue par sa capacité à se défaire de toute détermination (Voir texte ci-dessous). Il y aurait, dans cette perspective, une nature animale, parfaite, sans histoire, sans progrès, toujours conforme à ce qu'elle doit être, et une culture humaine, née de l'indisctinction première de l'homme, principe de sa liberté comme origine des malheurs qui l'accablent, source de progrès comme de corruption. Comme le dit Jean Rostand (in Pensées d'un biologiste): « Le biologique ignore le culturel. De tout ce que l'homme a appris, éprouvé, ressenti au long des siècles, rien ne s'est déposé dans son organisme (...). Chaque génération doit refaire tout l'apprentissage (...). Là gît la grande différence des civilisations humaines avec les civilisations animales. De jeunes fourmis isolées de la fourmillière refont d'emblée une fourmillière parfaite. Mais de jeunes humains séparés de l'humanité ne pourraient reprendre qu'à la base l'édification de la cité humaine. La civilisation fourmi est inscrite dans les réflexes de l'insecte (...).

La civilisation de l'homme est dans les bibliothèques, dans les musées et dans les codes ; elle exprime les chromosomes humains, elle ne s'y imprime pas. »
La distinction entre nature et culture recoupe très largement la distinction entre ce qui est inné et ce qui est acquis, entre l'hérédité et l'héritage. Elle détermine l'importance de l'éducation (littéralement e-ducere : « conduire hors de »...), qu'il faut tenir non pas pour un moyen de faire advenir ce qui est en germe en chacun de nous, mais comme le biais par lequel l'homme se donne les moyens de mener une existence autonome, d'être l'artisan des lois qu'il respecte, de mener, en somme, une existence qui n'est inscrite nulle part, qui n'est précédée d'aucune essence, qui se pense non pas comme le déploiement d'une essence première, mais comme une invention permanente.

La distinction entre nature et culture engage une définition de la liberté qui ne s'applique qu'à l'homme et qui se pense comme liberté de faire ce qu'on veut (à la différence de l'animal dont la « parfaite liberté » consiste finalement, sous réserve que l'on puisse appliquer un tel vocabulaire à la condition animale, à « vouloir ce qu'on fait »). Elle engage également en ce sens la différence entre l'intelligence et l'instinct (voir Bergson, in L'Évolution créatrice), ainsi qu'entre sciences « exactes » et sciences « humaines » dont l'exactitude est compromise par l'objet (l'homme) qu'elles se donnent, et qui déjoue toute prédiction qui se voudrait scientifique sur son compte. Un homme peut donc s'arracher à ses déterminations originelles, tandis qu'un animal en est incapable. Qu'est-ce à dire, sinon qu'il n'y a pas de nature humaine, ou que l'homme est, pour reprendre l'expression de Sartre « condamné à être libre » pour le meilleur comme pour le pire? Il y a, manifestement, quelque chose d'illusoire dans le fait de parler de « nature humaine », une sorte de confusion entre la culture et la nature, qui nous fait tenir pour inné ce qui est acquis. C'est de cette confusion que procède le racisme, défini comme une tentative d'expliquer la diversité des cultures par la diversité des natures. La question qui, en l'occurrence, résume et contient toutes celles qu'on peut se poser, n'est donc autre que le problème de savoir s'il existe, ou non, une nature humaine en-dehors de la culture...