en une : Sujet : causes de la crise de 1929

"remplacer par des slogans la pensée argumentée"

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bonjour je reviens vers vous quant au sujet que je vous avais exposé : " exposez sous forme organisée et illustrée les dangers que représente le fait de remplacer par des slogans la pensée argumentée". J'ai à présent rédigé le devoir et j'aimerais savoir ce que vous en pensez. Encore tous mes voeux pour la nouvelle année!!

D'après René Descartes, « ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, le principal est de l'appliquer bien. » Selon un dogme qui tend heureusement à s'effriter, la logique ne serait pas l'affaire de tous, mais seulement des spécialistes. Pourtant « l'exposé de la pensée perd ses caractères discursifs au profit du slogan. Le signe doit faire balle sur la rétine. » (R.HUYGHE)Ainsi tandis que pour tout penseur honnête, la justesse des raisonnements garantit la validité des conclusions ; pour le profane, ce sont à l'inverse les constructions déductives qui sont mises au service de la cause à plaider, quitte à être dénuée de la plus élémentaire rigueur. « Logique de boutique ! » Serait-on tenté de penser avec un brin de condescendance à l'écoute d'arguments mal agencés. Néanmoins il faut reconnaître que personne ne s'en prive, pas même les experts qui sans être forcément dupes d'eux-mêmes, se complaisent dans les formules obscures et les métaphores excessives.Mais l'oreille innocente où les flots de boniments se déversent, ne gagnerait-elle pas à savoir distinguer les bons penseurs de leurs rivaux les beaux parleurs ? D'autant plus qu'une saine argumentation suit des lois accessibles à tous…

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Quels sont les préceptes de bases auxquels nul ne saurait échapper ? Ce sont des slogans en tous genres, des dictons de tous acabits, des clichés et des stéréotypes dont l'abondance est telle qu'il est facile de se retrancher derrière celui qui convient chaque fois que le besoin s'en fait sentir. Ils permettent de justifier tout comportement, si insensé soit-il. Dans leur ensemble, les slogans constituent un système contradictoire. Peu importe, leur fonction n'est généralement pas de constituer une pensée cohérente, mais seulement de fournir un critère d'apparence suffisamment solide pour échafauder une argumentation propre à jeter un peu de poudre aux yeux. Ils s'utilisent un à un au gré des circonstances de telle sorte que leur contradiction globale demeure dissimulée. Lorsque deux hommes se battent, il est plus confortable de se tenir à l'écart. Le recours à une illusion offrant la possibilité de ne pas regarder la vérité en face, l'absence d'intervention pourra se justifier en prétendant que « dans une bagarre, il y a toujours des torts des deux côtés. » C'est à cela que servent les slogans.
Ainsi, le slogan, s'il prend place « dans » la pensée argumentée, constitue une forme de raccourci coupable, d'ellipse sur l'argument qui détourne alors la pensée de son besoin de preuves et de construction pour atteindre non plus une conviction rationnelle mais une conviction sentimentale. Le recours récurrent aux slogans devient alors périlleux lorsque ce dernier est exploité en vue d'anesthésier la pensée et la volonté : ce qui résulte de la seule magie du discours n'est que persuasion et non de vraies convictions. On ne retient rien de précis d'un discours truffé de slogans on n'y rencontre pas là vraiment la conviction de raisons solidement enchaînées, mais seulement des opinions. Gorgias, face à Socrate, est intarissable, il est l'homme de l'éloquence, l'homme d'esprit qui brille en société. Il est brillant et sait de quel pouvoir il dispose.
User des slogans pour séduire, persuader ou se faire obéir, c'est en négliger l'humilité devant la vérité et préférer l'arrogance du pouvoir sur autrui que le langage rend possible. Le bien parler est donc non seulement ambigu mais aussi parfois trompeur. Les tournures savantes, les figures de styles, les jeux de mots, tout cela fait effet mais l'effet est faux-semblant. L'effet permet de séduire tout en sauvegardant l'apparence, y compris l'apparence d'une pensée rigoureuse ! Il est donc possible que des discours brillants ponctués généreusement de « donc » et de « par conséquent » contiennent bien des sophismes que nous ne pouvons pas bien déceler, englouti que nous sommes dans le torrent des mots. « Tous les chats sont mortels. Socrate est mortel. Donc Socrate est un chat. » (Ionesco, Rhinocéros, 1958)

C'est pourquoi, il n'y a guère d'autre solution que la volonté de penser à nouveau ce qu'on dit, c'est-à-dire de peser ce qui vient à l'esprit. Tâche nécessaire mais libératrice, mais tâche infinie, puisque « nous n'avons jamais fini de savoir ce que nous disons » (Alain). En ce sens, la pensée argumentée a donc pour mission de formuler clairement ce qu'une raison « sait déjà confusément » (Kant)

Par conséquent, par opposition au slogan, l'argument ne cherche pas à séduire mais à convaincre et nous pousse à développer notre réflexion et donc à penser. Or le verbe « penser » désigne alors l'acte de la pensée se moulant dans les mots, la pensée raisonnant dans le langage, pour se trouver et se dire. Dans ce cas, ce n'est plus la pensée au sens des modes de conscience qui nous traverse l'esprit, non pas une pensée générale, mais LA Pensée au sens de la réflexion, privilège de l'homme comme être pensant. L'homme n'est-il pas selon Pascal un « roseau pensant » ?
En d'autres termes, dire que l'argument sert à penser, c'est dire que sa vocation s'accomplit comme expression de la pensée raisonnante. La pensée rationnelle suppose une forme de verbalisation, même quand elle est un dialogue de l'âme avec elle-même. La pensée argumentée suppose la logique et nous ramène donc au logos. Autrement dit, la raison ou pensée argumentée est le bon sens, le pouvoir non seulement de juger, mais de bien juger, de distinguer le vrai du faux. Mal juger, prendre le faux pour le vrai, ce n'est pas être doté d'un « pouvoir » de mal juger, c'est au contraire mal se servir de notre faculté de bien juger. La différence du bon et du mauvais n'est pas dans le pouvoir, mais dans l'usage de ce pouvoir. Certes, pour construire la science par exemple, les scientifiques parcourent des chemins tortueux qui ne sont pas guidés par la seule raison, mais la science est ce qui subsiste de ces constructions quand elles ont été passées au crible de la raison.
Par ailleurs, si le bruit des pensées, au sens de la conscience immédiate, n'est pas encore la pensée vraie, c'est que nous devons porter à l'acte de penser une attention toute particulière. En effet dire que le langage est fait pour penser, c'est dire que la raison peut construire avec le langage. C'est pourquoi le langage vient accomplir la pensée quand celle-ci y effectue une prise de conscience de soi, quand la pensée devient intelligente au contact des mots et que son seul objet n'est plus l'action (tel le slogan) mais la vérité (tel l'argument). Selon Malraux, « Si l'homme n'avait pas opposé à l'apparence ses successifs mondes de la Vérité, il ne serait pas devenu rationaliste, mais un singe »

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En bref, l'argument permet l'expression de LA Pensée en lui donnant une forme qui d'emblée se porte vers l'universel. Or raisonner avec les mots c'est déjà être inviter à sortir de la bulle de notre intimité. Mais entrer dans le langage par la porte de LA Pensée argumentée, c'est être inviter à aller au-delà des limites de la pensée personnelle. On ne fait plus alors appel à ses sensations ou à sa sensibilité mais à son impartialité à partir de postulats prouvés et démontrés.
Pourtant si le slogan domine la pensée et s'y substitue, il constituera une entrave perpétuelle à notre esprit critique. Dans ce cas ne soyons plus des victimes de « la maladie de la formule » mais « tendons vers une pensée plus profonde et plus puissante, capable de s'emparer des hommes et des peuples et de s'imposer à eux » (Albert Schweitzer)
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