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Commentaire de l'irrémadiable (baudelaire)

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Bonjour,
Je dois faire un commentaire composé du poème "l'Irrémédiable" de Baudelaire (cf. ci-dessous). Je vous envoie mon plan détaillé ainsi que mon introduction rédigée. Mon professeur souhaite que l'on sorte des plans typiques, ce que j'ai tenté de faire. Dans les poèmes que nous étudions en cours, il opte d'ailleurs souvent pour un plan axé sur les tonalités (à titre d'exemple pour A une passante : I) Un réalisme stylisé, II) la structure tragique, III) Une esthétique de la fuite). Néanmois, je crains de, parfois, avoir fait une étude quelque peu linéaire et, sur ce point, j'aimerais avoir votre opinion. D'autre part j'aimerais savoir si mon plan vous semble convenable et si j'ai oublié certains éléments de commentaires qui vous semblent importants et indispensables.
En vous remerciant
Pierre

L'Irrémédiable

I

Une Idée, une Forme, un Etre
Parti de l'azur et tombé
Dans un Styx bourbeux et plombé
Où nul oeil du Ciel ne pénètre;

Un Ange, imprudent voyageur
Qu'a tenté l'amour du difforme,
Au fond d'un cauchemar énorme
Se débattant comme un nageur,

Et luttant, angoisses funèbres!
Contre un gigantesque remous
Qui va chantant comme les fous
Et pirouettant dans les ténèbres;

Un malheureux ensorcelé
Dans ses tâtonnements futiles,
Pour fuir d'un lieu plein de reptiles,
Cherchant la lumière et la clé;

Un damné descendant sans lampe,
Au bord d'un gouffre dont l'odeur
Trahit l'humide profondeur,
D'éternels escaliers sans rampe,

Où veillent des monstres visqueux
Dont les larges yeux de phosphore
Font une nuit plus noire encore
Et ne rendent visibles qu'eux;

Un navire pris dans le pôle,
Comme en un piège de cristal,
Cherchant par quel détroit fatal
Il est tombé dans cette geôle;

--Emblèmes nets, tableau parfait
D'une fortune irrémédiable,
Qui donne à penser que le Diable
Fait toujours bien tout ce qu'il fait!

II

Tête-à-tête sombre et limpide
Qu'un coeur devenu son miroir
Puits de Vérité, clair et noir,
Où tremble une étoile livide,

Un phare ironique, infernal,
Flambeau des grâces sataniques,
Soulagement et gloire uniques,
--La conscience dans le Mal!

« L'Irrémédiable » occupe une place de choix dans la section Spleen et Idéal, représentant une sorte de point culminant de la partie « spleen », à la suite de douze poèmes dont un grand nombre portent le titre de « Spleen ». Il reprend les termes de « l'Héautontimorouménos » dans ses strophes de conclusion, et semble ainsi en faire l'exégèse tandis que le suivant, « l'Horloge » remet le thème du Temps au premier plan. Ainsi, à la fin de « Spleen et Idéal », l'horizon s'élargit-il de nouveau.
« L'Irrémédiable » nous fait assister à l'émergence d'une lumière nocturne, qui exprime un paradoxe fondamental du monde baudelairien qui veut que, au-delà de la discontinuité de nos sensations, le monde soit un et que le poète ait pour mission de retrouver ou du moins d'approcher cette unité. Si le mal correspond à l'unité perdue, la hantise du mal traduit négativement la permanence du rêve d'unité, comme à travers le spleen s'affirme toujours l'idéal.
Pourtant, dans ce poème de la descente aux enfers surgit une lumière unificatrice qui semble s'élever des ténèbres, illuminant une sombre existence envahit par le spleen. Mais comment ce poème incite-t-il le lecteur à un voyage fantastique dans la profondeur à la recherche de cette lumière, d'un sens ultime, d'une Vérité qui nous concerne ?

I) Un pathos fantastique

1) Une chute à la fois volontaire et résignée

La chute dans les profondeurs paraît tout d'abord inévitable. Il est vain, en effet, d'espérer remonter au jour, car entre le jour et soi-même se trouve un écran qui empêche le jour de triompher de la nuit. Dans ce lieu où l'être baudelairien s'enfonce, « nul œil du Ciel ne pénètre »
Parallèlement, l'être baudelairien peut sembler s'enfoncer volontairement dans ce « Styx boueux », fleuve des enfers qui apparaît comme le seul échappatoire non pas au Spleen mais à l'Idéal. On ressent dans ce poème la volonté de glisser dans l'abîme pour tirer un voile entre l'esprit et l'idéal auquel il aspire. Le personnage baudelairien semble accepter de ne plus jamais remonter au jour.
Mais en réalité, le pathos ne s'éclipse nullement car le personnage est en quelque sorte condamné à cette résignation. « Ainsi le plafond, le rideau, le voile, le couvercle s'affirment comme une fermeture au-delà de laquelle se trouve situé le bonheur perdu » (G.Poulet, La poésie éclatée).

2) Omniprésence pathétique

Poème d'une inquiétante descente aux enfers. Lexique de la chute : « pirouettant dans les ténèbres », « descendant sans lampe », « tombé dans cette geôle », « éternels escaliers sans rampes » (expression catalysée par allitération en [é])
La succession de diérèses accentue cette impression de longue chute lancinante : « Gouffre », « humide », « tâtonnements ».
Au niveau du rythme, l'octosyllabe apporte une dimension sombre, presque agressive. Qui plus est, l'octosyllabe est le rythme naturel de la langue française, renforçant à nouveau le sentiment d'une descente lente et irréversible.
Mais le pathos se signale avant tout par le champ lexical des ténèbres (« cauchemar », « profondeur », « geôle »…), de l'angoisse (« tâtonnements », « angoisses funèbres »).
3) Dimension fantastique, mythologique

Pourtant, une étrange force nous pousse à descendre encore et encore, vertigineusement le long de ces « éternels escaliers sans rampes ». Il y a dans cette chute quelque chose de fantastique, l'être baudelairien semble pénétrer dans un monde parallèle où règnent des « monstres visqueux » aux « larges yeux ». L'étrange, le mystère prend même une dimension mythologique avec l'évocation du « Styx », fleuve des enfers selon la mythologie grecque. A tout instant de la descente, le lecteur peut s'attendre à une rencontre inédite aussi bien que surprenante.
→ En dépit de l'aspect extérieure quelque peu effrayant de ce lieu où « nul Å“il du Ciel ne pénètre » et d'une description imprégnée du pathos, la dimension fantastique, le caractère intrigant de cette « descente aux enfers » éveille une certaine curiosité chez l'être baudelairien qui, dès lors, s'enfonce consciemment dans les profondeurs, en quête d'une certaine vérité.

II) Une atmosphère sombre et lumineuse

1) La lumière nocturne = un paradoxe fondamental du monde baudelairien

Une certaine lumière semble, enfin, émerger parmi cette pénombre, créant ainsi une atmosphère à la fois sombre et lumineuse. Celle lumière unit dans sa nature complexe les deux principes inconciliables que sont le bien et le mal, le beau et le laid, le lumineux et le ténébreux. La pureté et la candeur de l' « Ange » contraste tout autant avec le « cauchemar » qu'avec « le Diable ». L'éclat du « cristal » dépareille avec la « geôle ». Baudelaire s'amuse de cette confrontation, tourmentant le lecteur en lui laissant entrevoir l'Idéal, puis, subitement, refermant le « couvercle », le replongeant ainsi dans le spleen et l'immonde. Que ce soit « une Idée, une Forme, un Etre », le point de chute initial est « l'azur », sorte d'apogée lumineuse, antithèse parfaite du « Styx bourbeux et plombé » dans lequel le personnage baudelairien semble être condamné à s'enfoncer.
Néanmoins, alors que le premier quatrain pourrait laisser supposer que la chute est « irrémédiable », la descente contredit ce présupposé par certaines percées lumineuses et nous amène à penser que le personnage baudelairien cherche, en réalité, « la lumière ».
Cette « double postulation simultanée » du sombre et du clair, du Bien et du Mal, pourrait être exprimée sous la forme d'une absolue contradiction. Mais Baudelaire semble dépasser cette contradiction.

2) La conciliation de l'inconciliable

Dans « L'Irrémédiable », il ne s'agit plus pour Baudelaire de présenter un monde réel où le bien est dans le mal, le lumineux dans l'obscur, mais un mode où le bien c'est le mal, le lumineux c'est le ténébreux. « Non plus seulement donc une lumière dans la nuit, une lumière émanant de la nuit, mais une lumière qui est noire, qui est fondamentalement ténébreuse. Telle est la conception extrême de la lumière » (Georges Poulet).
« Une nuit plus noire encore » → « ne rendent visibles qu'eux » (diérèse)
« Puits de Vérité, clair en noir »
Au terme de cette infernale descente, marqué dans la structure même du poème avec le passage au II, le personnage baudelairien semble, enfin, parvenu à l'ultime palier, au fond même de l'Enfer. Et c'est dans cette zone finale que s'exprime au mieux cette lumière des profondeurs. « Flambeau des grâces sataniques » : c'est une lumière infernale qui apporte un éclairement tout à fait novatrice sur le monde, et c'est peut être cette vérité auquel aspire la pensée baudelairienne.

III) Une confrontation de la pensée

1) Une pensée qui toujours se pense

Découvrant et fuyant tout à tour ses objets, l'intelligence baudelairienne se trouve en fin de compte en présence d'une profondeur que plus rien n'anime, sinon la pensée elle-même : sorte de mouvement perpétuel qui fonctionne à vide. De cette façon, par un certain côté, la pensée baudelairienne tend à se confondre avec cette cavité dénudée ; tandis que de l'autre, elle ne se perçoit plus, vertigineusement, dans son propre miroir, que comme une pesée qui se pense et qui toujours se pense : « Tête à tête sombre et limpide, Qu'un cœur devenu son miroir »
Les yeux des monstres visqueux, yeux de phosphores, « font une nuit plus noire encore » symbolisant par là le tête-à-tête de la pensée avec elle-même.

2) La compréhension du monde

La lumière luciférienne éclaire sombrement une intelligence qui se comprend comme intelligence du mal, donc une intelligence ironique. A l'inverse de la lumière divine, il y a donc une lumière infernale (« Un phare ironique, infernal, Flambeau des grâces sataniques ») qui rend le monde ironiquement compréhensible pour une pensée proprement démoniaque.
Ainsi, dans ce poème, donne-t-il à penser que tout devient logique en ce bas monde dès qu'on se réfère à Satan.
→ la « tentation » de Baudelaire : la tentation d'utiliser la lumière noire comme source de connaissance, de puissance, et de jouissance. Dans cette perspective infernale, il se plaît à voire le monde.
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