en une : Sujet : causes de la crise de 1929

Le mal

Philosophie > sujets expliqués - 
      
Par Raphael Enthoven

INTRODUISONS LA NOTION

Il en va du mal comme du beau : c'est une évidence informulable. Chacun sait quand il est en présence « du mal », et personne ne saurait pourtant en donner une définition précise. Quand je dis « c'est mal », je parle en lieu et place de chacun, je présume que chacun aurait le même avis que moi, je ne doute pas de la véracité de ce que je dis, mais à la question « qu'est-ce que le mal ? », je ne saurais répondre autrement qu'en évoquant des exemples. Si le mal ne peut faire l'objet d'une conceptualisation rigoureuse, si on ne peut lui donner véritablement un contenu, il n'en demeure pas moins que le spectacle « du mal » est, le plus souvent, unanimement reconnu comme tel. Le mal est toujours l'expérience d'un individu, une expérience intransmissible et pourtant partagée. Comme le dit P. Fontaine (in « La question du mal »), « l'individuation radicale que provoque le mal condamne, semble-t-il, toute tentative de définition du mal. Dès lors, une réflexion sur le mal prend la direction d'une réflexion sur le sens de l'existence individuelle. ». Le mal est un défi lancé par la vie à la raison, il a ceci de paradoxal qu'il échappe à toute discursivité, tout en se donnant à voir dans la plus limpide des évidences. Peut-on, en conséquence, penser le mal ? Est-ce encore le mal que l'on pense, quand on le pense ?

En cela, l'entreprise leibnizienne de démonstration de la justice divine (« théodicée ») fournit le modèle d'une discursivité qui annihile l'immédiateté du mal au profit

de son intégration dans un univers tenu pour l'effet de la bonne volonté de Dieu. Si notre monde est « le meilleur des mondes possibles », alors voir le mal, ou céder au sentiment immédiat et informulable que nous sommes en présence du mal, c'est finalement mal voir. Si l'on intègre le mal à un ordre de raisons, si on l'inscrit dans le sens du monde, si on le justifie au titre qu'il serait un élément comme un autre du déploiement dialectique de la raison à même le monde, alors il n'y a pas de mal, mais il n'y a que des maux particuliers, alors le mal n'existe comme tel qu'aux yeux de celui qui s'en tient à la perception qui est la sienne. Comment donc penser le mal, sans le nier au titre qu'on le pense ? Comment réhabiliter l'expérience singulière que nous faisons du mal, sans verser dans une relativité radicale (ce qui est un mal pour moi ne l'est pas nécessairement pour mon voisin) ? Le mal est indicible, pour peu qu'on s'en tienne au sentiment qu'il inspire et qui nous vaut de l'identifier, mais ce caractère indicible ne doit pas, nous semble-t-il, nous dispenser d'en parler, au contraire... Comment faire et que dire ? Vous trouverez, dans les textes que nous vous proposons, des éléments de réflexion qui, à défaut d'apporter une réponse définitive à des questions si difficiles, auront, du moins nous l'espérons, le mérite d'éclairer les termes du problème.

EXEMPLES DE SUJETS :

- Peut-on vouloir le mal ?
- Voir le mal, est-ce mal voir ?
- Le mal peut-il naître du Bien ?
- La beauté du Mal.
- Connaître le mal nous dispense-t-il de le commettre ?
- Qu'est-ce que le Mal ?
- Le Mal et la transgression.
- Peut-on penser le mal ?

RESSOURCES BIBLIOGRAPHIQUES CONSEILLÉES

H. Arendt :

- Eichmann à Jérusalem. (Sur la notion de « banalité du mal », voir le commentaire qu'Arendt fait de son propre texte dans La Vie de l'Esprit, introduction, pp 18-20, éd. PUF)

Freud :

- Malaise dans la Culture. (Comment le passage du principe de plaisir au principe de réalité permet de comprendre l'attitude de l'homme face à l'expérience du malheur et de la souffrance. Voir anthologie sur le mal, de Claire Crignon)

Kant :

- La religion dans les limites de la simple raison. Le mal est radical et incontestable dans la mesure où il consiste dans une perversion des motifs qui guident notre action. Le mal est dans le fait d'agir par amour-propre, plus que selon la loi morale. À ce titre, nous sommes tous exposés au Mal.

Leibniz :

- Essais de Théodicée (voir textes en ligne) : « ...permettre le mal, comme Dieu le permet, c'est la plus grande bonté... »

C. Lévi-Strauss :

- Les structures élémentaires de la parenté (La distinction première entre le bien et le mal est liée à la nécessité pour toute société de discriminer le permis et le défendu, et notamment de prohiber l'inceste, voir texte de l'anthologie sur le Mal...)

Le Mal,

anthologie, textes choisis et présentés par Claire Crignon.

Nietzsche :

- Généalogie de la Morale, § 3 (généalogie des concepts de Bien et de Mal, à rapprocher du propos de Spinoza, au début de l'Appendice de la Première Partie de l'Éthique)

Platon :

- Ménon, 77a-78b. (« Nul n'est méchant volontairement », à rapprocher de la phrase de Renan, in L'Avenir de la Science : "Le mal ne vient pas de ce que les gouvernements violentent et trompent, mais de ce qui n'élève pas. Moi, qui suis cultivé, je ne trouve pas de mal en moi, et spontanément, en toutes choses, je me porte à ce qui me semble le plus beau. ")

Plotin :

- Ennéades (tome1) I, 8 et IV : Y a-t-il, ou non, un principe du mal ? Plotin donne le sentiment (de l'ennéade IV où le Mal est, en gros, l'effet de l'âme humaine et d'elle seule, au traité tardif - I, 8 - où le mal est identifié d'abord à la matière, où il est dit explicitement qu'il existe un principe du mal...) de changer d'avis sur la question, de telle sorte que son discours offre sur le mal une alternative dont la fécondité tient aussi à la façon dont les termes se substituent l'un à l'autre.

P. Ricoeur :

- Philosophie de la volonté. Finitude et culpabilité, t. II, La symbolique du Mal. La réflexion de Ricoeur est le modèle d'une réinterprétation du politique, du juridique, de l'histoire à partir de la considération de l'omniprésence d'un mal radical.

D. Rosenfield :

- Du mal. Essai pour introduire en philosophie le concept de mal. (Comment penser le mal ? Quelle est la signification de l'acte libre ? Le mal réside-t-il dans un retournement de la liberté contre elle-même ?)

Rousseau :

Émile, Livre IV, « Profession de foi du vicaire savoyard. » (les hommes sont seuls responsables du mal...)

Sade :

- Justine ou les Infortunes de la Vertu. (Notamment le personnage de Deprun, dont le discours - « isoliste » - consiste à dire que puisque son plaisir est en lui, et puisque la souffrance d'autrui est hors de lui, alors il ne voit aucune raison d'épargner autrui dans la mesure où il jouit des maux qu'il inflige.)

Spinoza :

- Correspondance avec Blyenbergh (série de quatre lettres absolument fondamentales sur la question du mal, adressées à un interlocuteur soucieux de concilier la présence du mal et la bonté de Dieu), puis
- Éthique IV, 17 (à propos de la phrase d'Ovide « Video meliora proboque deteriora sequor : je vois le meilleur et je l'approuve, et je fais le pire...). Le discours spinoziste sur le mal, dont il nie le caractère absolu, sans pour autant méconnaître la réalité et la nocivité de la souffrance, est parfaitement expliqué in Spinoza. Philosophie pratique (Deleuze).