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Les réécritures

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De nombreuses œuvres, notamment les tragédies antiques qui donnent lieu à des mythes, sont réécrites au fil des siècles. On pourrait penser à un exercice de style commun à tous les écrivains : faire ses preuves en imitant le style des plus grands, mais comment expliquer alors que le public les lise. Quel plaisir pouvons-nous tirer de la lecture d’une réécriture, outre le simple plaisir de la répétition ? Nous axerons notre réflexion sur les deux facettes apparentes de la réécriture : tout d’abord son aspect comique, que développent certaines œuvres, puis son aspect plus sérieux, qui s’inscrit dans des enjeux polémiques ou philosophiques.

La réécriture présente tout d’abord un aspect comique pour le lecteur. L’auteur établit avec le lecteur un jeu de références à l’œuvre originale qui porte au rire. En effet, l’auteur de la réécriture veut se servir de l’œuvre comme d’une base à partir de laquelle il puisse exercer son art. Aussi, à la différence du plagiat, l’auteur ne tente t-il pas de dissimuler sa source d’inspiration mais au contraire de l’afficher, afin de donner tout son sens son projet de réécriture. De cette manière, le lecteur ne cessera de faire des rapprochements entre les deux œuvres, et tirera du plaisir, à travers le rire, à relier l’une ou l’autre action avec sa nouvelle forme. Ce jeu de références peut se dérouler à plusieurs niveaux : aussi bien au plan événementiel ou psychologique que sur le simple plan du style. L’auteur procède alors à un pastiche, que le lecteur ne peut savourer qu’après avoir lu l’original. Ainsi, l’Oulipo, lorsqu’il écrit La cimaise et la fraction, procède à une réécriture de la fable de La Fontaine, à travers la méthode S+7. Mais le lecteur ne peut apprécier la virtuosité de la réécriture – ni même son intérêt – s’il ne connaît pas la fable d’origine. En lisant le poème, c’est la fable que l’on entend, et c’est le décalage de sens entre l’un et l’autre qui nous fait sourire. L’œuvre qui naît d’une réécriture est donc indissociable de l’œuvre d’origine, puisque son intérêt réside dans leur confrontation. Mais cet aspect comique peut aussi naître d’une transposition temporelle.

Le comique de la réécriture réside aussi dans l’inattendu du cadre spatio-temporel. En effet, l’auteur transpose l’action de l’œuvre originale dans un autre cadre spatio-temporel, qui n’a rien à voir avec le précédent. Ainsi, il crée un décalage qui porte au rire, puisqu’il s’impose la contrainte d’écrire une action identique dans un contexte différent. Ce travail d’imagination – qui consiste à accorder les gestes originels dans un monde nouveau – peut amener l’auteur à tourner en dérision l’œuvre originale. C’est le principe de la parodie, autre registre dans lequel s’inscrit la réécriture. L’auteur grossit les traits caractéristiques de l’œuvre originale, notamment à travers le décalage avec le contexte, et en souligne le caractère absurde. De cette manière, Jean Anouilh écrit La Cigale, où il reprend la situation de base de La Fontaine, mais fait aller la cigale chez le renard, « spécialisé dans les prêts hypothécaires » Les écarts de situation entre les deux versions créent le rire. Le plaisir de la lecture naît donc du décalage créé entre l’action originale et le nouveau cadre social. Un traitement de ce décalage peut amener l’auteur à parodier l’œuvre qu’il transpose. Dans la même optique, l’auteur peut non pas transposer l’œuvre dans son contexte, mais dans son registre.

La réécriture peut aussi s’opérer par un changement de registre de l’œuvre originale. En effet, l’auteur transpose ainsi une tragédie antique, par exemple, en une comédie moderne. Ce procédé, qui se rapproche de la parodie par la nature des effets qu’il entraîne, tourne en dérision l’œuvre originale car il trahit, en quelque sorte, la pensée de l’auteur. Ainsi, dans La Machine Infernale, Jean Cocteau présente, à l’Acte I, Tirésias et Jocaste qui entrent en scène avec un dialogue comique aux nombreuses allusions. Lorsque Jocaste se plaint « Tout le jour cette écharpe m’étrangle. Une fois elle s’accroche aux branches, une autre fois, c’est le moyeu d’un char où elle s’enroule, une autre fois tu marches dessus » Cocteau fait référence, non seulement à la fin tragique de Jocaste, mais encore – et c’est par-là qu’il transpose le texte – à la mort accidentelle de la danseuse Isadora Duncan, à Nice en 1927, dont l’écharpe s’était enroulée dans une roue de voiture de sport. Cocteau transpose dans un comique grinçant une tragédie antique. De la même manière, Montherlant, lorsqu’il écrit Don Juan, transforme la tragédie de Tirso de Molina en une comédie burlesque. Sa parodie repose notamment sur le personnage de Don Juan, vieillard qui échoue toutes ses tentatives de séduction, et de sa stratégie amoureuse. Si Montherlant nous offre sa vision personnelle de la pièce, il lui retire néanmoins toute sa dimension polémique. La transposition d’un registre à l’autre peut donc constituer une réécriture, étant donné que toute l’optique de l’œuvre est transformée.

La réécriture donne donc lieu à une re-lecture comique d’œuvres classiques. La transposition, qui a lieu autant sur le plan du cadre spatio-temporel que du style ou du registre, donne au nouveau texte une dimension comique, à travers la confrontation avec l’original. Mais la réécriture ne sert pas seulement des desseins comiques. Elle permet aussi de relier directement l’œuvre et le lecteur, et par conséquent donner plus de force à sa dimension polémique ou philosophique.

La réécriture est une réactualisation. En effet, l’auteur présente une action connue dans un cadre social différent. En général, le contexte est contemporain de l’écriture. Tout en tâchant de ne pas trahir le message porté par le texte, l’auteur de la transposition essaie de relier directement le lecteur à ce message. Il transforme les références obsolètes qui ne sont pas connues du lecteur par des allusions contemporaines que le lecteur peut apprécier. Ainsi, il lui permet de prendre part à l’œuvre, et d’en comprendre les enjeux. Cette technique donne aussi l’œuvre une dimension intemporelle, et prouve bien que les problèmes qu’elle soulève sont liés à la condition humaine. Si l’on parle de l’homme, on doit pouvoir adapter notre propos à tous les hommes. La réécriture prouve aussi que le problème soulevé est toujours d’actualité. La Fontaine, dans la Préface des Fables, conçoit la réécriture comme un cycle naturel. Il invite les auteurs futurs à réécrire ses fables, et écrit que s’il n’a pas réussit à retranscrire le message ( ce qu’il appelle « le chemin qu’il fallait tenir » ), il exhorte les autres à le faire. Il prouve ainsi que selon lui, l’avenir rencontrera les mêmes vices chez les hommes, et que les fables, puisqu’elles parlent de la condition humaine, ont pour mission de sans cesse se renouveler pour agir comme une conscience ou une sagesse populaire. La réécriture est donc une illustration de l’universalité de l’œuvre. Mais l’œuvre ne se transpose pas sans changements internes, et elle est parfois réorientée vers d’autres enjeux.

La réécriture est aussi un enrichissement du texte original. En effet, et notamment dans le parcours des mythes littéraires qui voyagent d’auteur en auteur, l’écrivain donne sa propre vision de la situation, en fonction de son expérience personnelle. Loin d’amoindrir l’impact du texte, il lui donne au contraire un aspect plus vrai et personnel. Aussi, en le raccordant à du vécu, et donc de l’historique, l’auteur enrichit le mythe de nouveaux éléments qui vont dans le sens du texte. Ces détails, ancrés dans la société, finissent par vieillir et perdre leurs sens, mais le mythe leur survit et se voit réapproprié à nouveau par d’autres auteurs. Ainsi peut-on noter, dans la réécriture de la fable d’Esope Le Renard et la Panthère que nous livre La Fontaine, dans Le singe et le léopard, quantité de références à la société du XVIIe siècle, contemporaine de l’auteur. D’une part, La Fontaine précise que la scène se déroule à la foire, et donc les protagonistes, non contents de rivaliser directement par un dialogue, prennent la foule à témoin. D’autre part, dans l’illustration de la morale, La Fontaine met en relation ces comportements et celui des grands seigneurs qui « n’ont que l’habit pour talent ! » L’auteur ne se contente plus de châtier les vices de la condition humaine, il donne à la fable une dimension polémique, et donc la condamne à une mort programmée : chaque référence à un contexte sociale ne sera un jour plus comprise. Chaque remaniement du mythe par différents auteurs est un enrichissement, car il le charge d’un nouveau poids, un nouveau sens.

La réécriture peut simplement agir sur le genre de l’œuvre. En effet, l’auteur peut décider de ne reprendre que le thème de l’œuvre originale pour la traiter différemment, notamment à travers un autre art ou un autre média. Ces choix sont motivés par une force spécifique à chaque genre littéraire qui s’adapte plus ou moins selon l’œuvre ou selon la société. La réécriture nécessite plus que toute œuvre un public, car elle parle en général d’une situation contemporaine qui n’intéressera plus les générations ultérieures. Aussi la réécriture doit-elle plaire, et donc utiliser l’outil en vogue. De plus, la réécriture parle à la société de ses problèmes. Elle est bien souvent une satire sociale. Et c’est pourquoi il faut qu’elle ait un certain impact. Une réécriture qui sombre dans l’oubli ne présente que peu d’intérêt, car c’est là le genre le moins apte à accéder à la postérité. La réécriture est donc, sous un certain angle, un art de l’instant, complètement lié à la société dont elle est le miroir. Ainsi on peut noter que la réécriture de Benserade, tiré du recueil Fables d’Esope en quatrains, ne transforme la fable originelle qu’à travers la forme. Presque 22 siècles plus tard, la fable reste quasiment intacte, simplement mise en forme pour plaire et se répandre. Le quatrain, en alexandrin et en rimes croisées, est une forme qui s’exporte de par sa concision et son ton lapidaire. La réécriture, poussée par une motivation claire, peut, sans vouloir trahir le sens profond de l’œuvre originale, mais au contraire de l’exporter plus facilement, en changer simplement la forme, et notamment le genre.

Somme toute, la réécriture plaît au lecteur pour deux raisons. D’une part pour sa veine comique, qui naît du décalage entre l’original et la copie légèrement différente, mais aussi par un jeu constant de références à l’auteur ou à son œuvre – voire à son époque – et enfin par le « travestissement » de l’œuvre dans un registre différent, qui la détourne entièrement de sa portée première. D’autre part, sur un plan plus sérieux, la réécriture plaît car elle réactualise l’œuvre, et de ce fait permet une implication immédiate et totale du lecteur, qui reconnaît son univers dans une œuvre parlant de la condition humaine. Ensuite, elle plaît parce qu’elle s’enrichit au fil des transpositions d’éléments nouveaux qui donne l’impression d’une palette de variations sur le même thème. Enfin, la réécriture plaît parce qu’elle réussit à briser les barrières des arts : elle adapte le même thème à plusieurs arts indifféremment, et permet ainsi à l’œuvre d’être toujours sous la meilleure forme possible pour accomplir sa mission dans la société. Mais n’y a t-il pas, dans le processus de création artistique, un temps pour l’innovation ? Car si, selon La Fontaine, tout est réécriture, tout est alors déjà dit, et l’art n’est plus qu’un ergotage sur les moyens.
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