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Dissertation "la religieuse" de diderot

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Sujet :
A l'origine de La Religieuse se trouve une mystification plaisante. Le roman que vous lisez vous semble-t-il conserver quelque ironie ?

Dissertation

Introduction

On peut trouver chez Diderot toutes les richesses et toutes les contradictions du XVIIe. Il s'agit d'un auteur qui nous a offert les formes littéraires les plus diverses : l'essai Pensées philosophiques, la critique d'art, la critique d'art Les Salons, le conte Ceci n'est pas un conte, le théâtre Père de famille et le romain la Religieuse. On y voit un esprit curieux de tout, une grande liberté de pensée et une réflexion philosophique qui l'a mène à poser des problèmes fondamentaux de la liberté et du comportement humain.
On va constater que la Religieuse est, en vérité, une œuvre issue d'une mystification, un jeu de salon. Une correspondance créée par Diderot et ses amis entre une pseudo - religieuse et le marquis Croismare. Une correspondance que l'écrivain décide de faire continuer avec une habileté exceptionnelle en évoquant des thèmes sérieux, voire magique comme la folie, la vocation forcée et la perversion des sentiments naturels. D'un but de plaisanterie original, Diderot arrive à former une critique sociale par l'intermédiaire d'une religieuse Suzanne Simonin. Une critique réalisée par la peinture de la vie dans le monde aliénant des couvents. Diderot omni - présent dans le œuvre par la bouche de Susanne utilise le procédé du roman - mémoire y mêle l'ironie et la fiction pour donner une satire effrayante des couvents.

Etymologiquement le verbe « mystifier » signifie « tromper quelqu'un en abusant de sa crédulité et pour s'amuser à ses dépens ». Le nom « mystification » désigne par conséquence les « actes ou les propos destinés à abuser la crédulité de quelqu'un ». Enfin, par extension, on parle de tromperie d'ordre intellectuel et moral quand on parle de mystification littéraire.
La lecture de La Religieuse nous emmène dans un contexte de mystification littéraire. L'auteur Diderot tente de faire passer sa propre correspondance pour celle d'une religieuse. Il fait apparaître au lecteur ses propres lettres comme celles écrites par une religieuse malheureuse. Suzanne Simonin adressées au marquis de Croismare. Le mécanisme de la mystification dans l'œuvre de Diderot repose sur la fausse identité de l'expéditeur de cette correspondance. « La réponse de M. le marquis de Croismare, s'il m'en fait une, me fournira les premières lignes de ce récit. Avant que de lui écrire, j'ai voulu le connaître ».

On pourrait dire que La Religieuse constitue l'œuvre d'une mystification littéraire. Les traits essentiels de ce qu'il est convenu d'appeler « la mystification littéraire » nous sont évoqués par Frédéric-Melchior Grimm, ami de Diderot, dans la Préface du précédent ouvrage tirée de la CORRESPONDANCE littéraire de M. Grimm publiée en 1760. Grimm précise, dés le début, que la conception de La Religieuse s'agissait d' « un horrible complot dont j'avais été l'âme, de concert avec M. Diderot, et deux ou trois autres bandits de cette trempe de nos amis intimes ». Il y révèle, en effet, l'amitié la plus tendre qui attachait Diderot, et lui-même à M. le marquis de Croismare, un ancien officier du régiment du Roi, un homme aimable, appelé par ses amis le charmant marquis par excellence grâce à son esprit, son âme et sa bonhomie. Le marquis de Croismare les a quittés au début de l'année 1759pour aller dans ses terres en Normandie et son absence était « infiniment sensible » pour eux. Diderot, qui se rappela qu'avant de partir il avait montré beaucoup d'intérêt à Suzanne Simonin, une jeune religieuse de Longchamp que réclamait juridiquement contre se vœux, auxquels elle avait été forcée par sa famille et que perdit son procès. Grimm clarifie, alors, que « M. Diderot résolut de faire revivre cette aventure à notre profit. Il supposa que la religieuse en question avait eu le bonheur de son couvent, et en conséquence écrivit en son nom à M. de Croismare pour lui demander secours et protection. « Monsieur, hâtez-vous de me secourir. Vous me direz, sans doute : Enseignez-moi ce que je puis faire pour vous. Le voici, mon ambition n'est pas grande. Il me faudrait une place de femme de chambre ou de femme de charge, ou même de simple domestique, pourvu que je vécusse ignorée dans une campagne, au fond d'une province, chez d'honnêtes gens qui ne reçussent pas un grand monde ».

Le caractère originalement plaisant du jeu de société est également indiqué par Grimm. Comme le marquis de Croismare ne douta pas de leur perfidie, il adresse des lettres à Suzanne, les mystificateurs Diderot, Grimm et Mme d'Epinay passaient leur « soupers à lire, au milieu des éclats de rire, des lettres qui devaient faire pleurer notre bon marquis, et nous y lisions avec ces mêmes éclats de rire les réponses honnêtes que ce digne et généreux ami y faisait ». Cette image est le reflet d'une atmosphère de détente, d'un jeu de société amical avec une tentative de plaisanterie.
Cependant, la mystification plaisante qui se trouve à l'origine de La Religieuse devient plaisant /se palisser. En effet, le sort de la pseudo - religieuse qui n peut pas supporter ses peines, commence à trop intéresser le marquis de Croismare (p. 258) qui lui propose de « parler aussitôt pour Caen, si une place à côté d'une jeune demoiselle » lui convient.
C'est la raison pour laquelle, selon toujours la Préface de Grimm, « M. Diderot prit le parti de la faire mourir, préférant de causer quelque chagrin au marquis au danger évident de le tourmenter plus cruellement peut-être en la laissant vivre plus longtemps ». De cette façon, Diderot sous le nom de Suzanne, lui répond « Monsieur, j'ai reçu votre lettre. Je crois que j'ai été fort mal, fort mal. Je suis bien faible ».
Après avoir appris la réalité le marquis de Croismare n'en a jamais parlé à Diderot même qu'il en ait ri au début. Peut-être cette réfutation du côté de marquis d'en reparler accentue volonté de plaisanterie originelle.

La fin de la plaisanterie du petit groupe de Mme d' Epinay ne signale pas la fin du destin de Suzanne Simonin. Diderot, pris au jeu, confie à Mme d' Epinay qu'il veut faire de son histoire un roman : « Je me suis mis à faire La Religieuse, et j'y étais encore à trois heures du matin. Je vais à tire – d'aide. Ce n'est pas une lettre, c'est un livre… »
Diderot transforme les lettres de la pseudo - religieuse en un récit en règle. C'est la naissance d'un roman qui traite des sujets sérieux.

La Religieuse est un roman – mémoire qui reflète dés le début un univers clos, une ambiance pathétique. Le récit commence avec l'atmosphère glaciale et sinistre de la maison chez les Simmonin, où Suzanne apparaît malheureuse, comme une prisonnière. « J'étais si mal à la maison, que cet événement ne m'affligea point ; et j'allai à Sainte-Marie, c'est mon premier couvent avec beaucoup de gaieté. »
Jusqu'à la fin du récit on aperçoit une très forte insistance de Diderot sur la clôture où n'a aucune vue extérieure. Suzanne reste enfermée aux trois couvents successifs.

Les réseaux lexicaux de la clôture et de l'obscurité y abandonnent. « Enfermée », « renfermée », « bouclée », « séparée de tout le monde », « sombre », « nocturne ». Il n'y a pas de description de couleur, de lumière, de soleil de fleurs. Suzanne reste aussi coincée à Paris « Je vis dans des alarmes continuelles, au moindre bruit que j'entends dans la maison, sur l'escalier, dans la rue, la frayeur me saisit ». Diderot refuse constamment d'évoquer l'extérieur. Quand le jardin est mentionné, c'est pour faire allusion au suicide et à la mort « Ah ! monsieur, tous mes maux seraient finis, et je n'aurais plus rien à craindre des hommes, si Dieu ne m'avait arrêtée ; ce puits profond, situé au bout du jardin de la maison, combien je l'ai visité de fois ! »
L'atmosphère sinistre accentue le destin tragique de l'héroïne. C'est qui nous est d'abord relevé est la beauté « Certainement je valais mieux que mes sœurs par les agréments de l'esprit de la figure, le caractère et les talents ; » et l'innocence « …en entreprenant ces mémoires, où je peins une partie de mes malheurs, sans talent et sans art, avec la naïveté d'un enfant de mon âge et la franchise de mon caractère » de la victime – héroïne Suzanne Simonin. Cependant, c'est la raison pour laquelle elle se trouve exclue du milieu familial « Ce que la nature et l'application m'avaient accordé d'avantages sur elles devenant pour moi une source de chagrins… » Dans une scène pathétique Suzanne apprend sa naissance illegitime par le confesseur de sa mère, le père Séraphin « … et c'est elle qui m'a chargé de vous annoncer que vous n'étiez pas la fille de M. Simonin. » Depuis ce moment là, la solitude de Suzanne devient insupportable. Comme héroïne tragique elle décide de se sacrifier pour expier la faute de sa mère « …mais Dieu nous a conservées pour que la mère, l'une à l'autre expiât sa faute par l'enfant… »
Exclue du milieu familial, Suzanne c'est aussi pour la plupart de temps pendant son séjour aux couvents. A Longchamp, après la mort de Madame de Moni, la sœur Sainte-Christine qui la succéda est une femme cruelle qui se venge de sœur Suzanne et de l'amour qu'elle porte pour la première supérieure. A Longchamp elle perd ses parents, sa supérieure. Suzanne éprouve toute sorte de souffrances, elle est suivie de persécutions « Il m'est impossible d'entrer dans tout le petit détail de ces méchancetés ; on m'empêchait de dormir, de veiller, e prier » elle se trouve « seule, abandonnée, sans appui ». Les agressions, tortures physiques « on me jeta une chambre, on m'ôta mes bas, on me couvrir d'un sac, et l'on me conduisit, la tête et les pieds nus, à travers de corridors » sont succédées par des torture morales : la supérieure de Sainte-Eutrope.
Même quand l'héroïne arrive à s'échapper de couvent elle ne se délibère pas « Je vis dans des alarmes continuelles, au moindre bruit que j'entends dans la maison, sur l'escalier, dans la rue, la frayeur me saisit, je tremble comme la feuille mes genoux me refusent le soutien, et l'ouvrage me tombe des mains ».
Cette douleur est, d'ailleurs, peint par sa note à la fin de son lettre, à la fin du récit « …je me suis aperçue que sans en avoir eu le moindre projet, je m'étais montrée à chaque ligne aussi malheureuse à la vérité que j'étais… »

En parallèle avec la peinture des souffrances le trajet tragique de l'héroïne Diderot évoque des thèmes sérieux comme la vocation forcée et la folie. La naissance illégitime de Suzanne est la raison pour laquelle elle se trouve enfermée au couvent contre sa volonté. Comme elle l'avoue elle n'ai aucun goût par la vie religieuse « -Que voulez-vous donc devenir ? –Tout, excepté religieuse. Je ne veut pas être, je ne le serai pas ». Cependant elle se sacrifie par amour pour sa mère et pour la paix familiale « Maman, je suis fâchée de toutes les peines que je vous ai causées ; je vous en demande pardon : mon dessein est de les finir. Ordonnez de moi tout ce qu'il vous plaira ; si c'est votre volonté que j'entre en religion, je souhaite que ce soit aussi celle de Dieu… » Le lecteur devient témoin d'une sacrifice, d'une vocation forcée qui peut conduire à la folie.
L'image presque cynique de la religieuse folle au couvent de « Sainte-Marie » peut choquer « Elle était échevelée et presque sans vêtement ; elle traînait des chaînes de fer ; ses yeux étaient égarés ; elle s'arrachait les cheveux ; elle se frappait la poitrine avec les poings, elle courait, elle hurlait… elle cherchait une fenêtre pour se précipiter. »
Cette image de la perte du sens, de la folie qui conduit au suicide scène au début du récit est également présentée / fait écho à l'image de la religieuse supérieure du couvent de Sainte-Eutrope, une lesbienne qui arrive à la folie quand Suzanne, selon les conseils du Père Lemoine, elle la fuit « Vous avez raison, vous avez raison, hélas ! je suis devenue folle, je le sens. » Diderot dénonce alors dans un premier niveau les mécanismes des contraintes familiales comme substitut aux vocations religieuses mais il ne s'arrête pas là. Il met relief des thèmes graves avec une touche d'ironie.

Etymologiquement, le mot « ironie » vient du mot grec eirôneia. Un mot servi d'abord à designer la méthode pédagogique de Socrate qui consistait à feindre l'ignorance pour mettre en évidence l'ignorance réelle des interlocuteurs. En français moderne, selon les dictionnaires, on appelle ironie « une sorte de moquerie à but éducatif et surtout démystificateur qui consiste à ne pas donner aux mots leur valeur réelle ou complète, de manière à faire entendre le contraire de ce qui est apparemment dit ». On parle alors d'une façon subtile et détourne d'exprimer une désapprobation. Et c'est exactement c que Diderot fait.
Diderot mélange dans une atmosphère de clôture, la farce, le pathétique, des images cyniques, des images de folie, pour arriver à son but : mettre en évidence une vérité de l'époque et la dénoncer. Pour y parvenir il fait bâtir un dialogue, un dialogue ironique entre son lecteur et lui-même. Derrière les interrogations adressées au marquis de Croismare par Suzanne on peut trouver une attitude discrètement ironique de Diderot. Suzanne après l'interdiction du directeur d'approcher se demande « …qu'est-ce qu'il trouvait de si étrange dans la scène du clavecin ? N'y a-t-il pas des personnes pour lesquelles la musique fait la plus violente impression ? » Comme des rhétoriques ces interrogations restent sans réponse.
A côté de l'ironie on trouve le satire « écrit qui a pour but d'attaquer et de ridiculiser les travers du termes sans ménager les personnes ». Diderot dira de son œuvre en 1780 « Je ne crois pas qu'on ait jamais écrit une plus effrayante satire des couvents ». Un satire auquel l'écrivain en présentant les couvents comme à la fois un lieu de clôture et un lieu des passions. Il donne aux religieuses une apparence physique et un comportement tout à fait contraires aux règles conventuelles « On en vint jusqu'à me voler, me dépouiller, m'ôter mes chaises, mes couvertures et mes matelas » « elle était échevelée et presque sans vêtement ; elle traînait des chaînes de fer… » Tout au long du récit elles apparaissent complètement hypocrites. Leur hypocrisie est habilement souligné par les remarques, entre parenthèses ou pas de Suzanne, voire Diderot « (Elle savait mieux que moi ce que j'avais) » ou « Savoir se contenir est leur grand art ». Pour accentuer sur leur attitude hypocrite, l'auteur utilise des expressions de l'hyperbole dans la bouche de Suzanne « Il est sur… », « Il y en a cent tout juste ».
Le monde clos entraîne la dégradation de la nature humaine. L'image de la vie presque anti-nature dans les couvents conduit à la perversion des sentiments naturels. L'amour pour le Dieu perd son sens, l'autorité se transforme en despotisme, les individus séparés de la société perdent leur liberté de la parole. Le corps privé de ses fonctions naturelles conduit à l'hystérie, à la folie, la perversion. Suzanne avoue que dans le couvent était « physiquement aliénée ». En donnant un tel tableau, Diderot veut dénoncer la scandaleuse non-liberté des couvents et apporter une morale supérieure.

La Religieuse a la forme d'un roman-mémoire mais on y trouve une polyphonie incessante. On entend la voix de la jeune religieuse innocente « O Dieu ! que vais-je devenir ?.. » La voix de l'épistolière « O ! monsieur ! quelle nuit que celle qui précéda ! » Celle d'un narrateur qui comme un des ex machina explique de Suzanne narratrice « La voilà donc dans une autre maison religieuse, et postulante… » les raisons de la fin du roman « Ici les Mémoires de la sœur Suzanne sont interrompus ; ce qui suit… les fragments que je vais transcrire ».
Ce sont des voix marquées qui reflètent la pensée de Diderot. La pensée de Diderot qui condamne la vie monastique forcée. Il n'est pas d'hasard que son héroïne est affrontée à des supérieures mystiques, méchantes, lesbiennes « Une fois, déplore Suzanne, il plut à la Providence dont les voies nous sont inconnues, de rassembler sur une seule infortunée, toute la masse de cruautés réparties dans ses impénétrables décrets sur la multitude infinie de malheureux qui l'avaient précédée dans un cloître et qui devaient lui succéder. » Il a associé sa condition religieuse avec tant de malheurs qu'il ne pouvait que le faire express.
Diderot condamne la vocation forcée des enfants illégitimes sous le prétexte de la vie religieuse. Il accuse également la vie monastique et l'enfermement comme responsables des comportements troublants, suicidaire « L'homme est né pour la société. Séparez-le. Isolez-le. Ses idées se désuniront. Son caractère se tournera. Mile affections ridicules s'élèveront dans son cœur. Des pensées extravagantes germeront dans son esprit comme les ronces dans une terre sauvage », dit-il par la bouche de Suzanne.

Conclusion

A propos de La Religieuse, R. Mauzi a dit qu'il est un « Amalgame insolite de pathétique et de la farce ». Par une idée facétieuse de Diderot on arrive à la création d'une œuvre sérieuse dont l'auteur se montre en pleur lors de sa rédaction. « Qu'avez-vous donc ? lui dit M. d'Alainville. Comme vous voilà ! –Ce que j'ai, lui répondit M. Diderot ; je me désole d'un conte que je me fais… »
Des lettres – plaisanteries de salon, autour d'un personnage réel, pour un destinataire réel sont ensuite transformées en roman. Un roman « effrayante satire des couvents » selon la formule de Diderot qui par un analyse détaillée presque clinique des femmes cloîtrées dénonce l'hypocrisie, l'autorité abusive, la cruauté, la vie enfermée monastique qui conduit aux comportements aliénés, à la folie, au suicide, l'homosexualité. Il est omni - présent tout au long du roman masqué, derrière l'image de sa protagoniste et en lui rendrant divers états psychologique reproche aux pratiques des couvents et défend le droit du choix, la liberté de l'esprit.
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