en une : Le lexique de français

"être hors du temps, est ce être hors de soi?"

Philosophie > sujets expliqués - 01/05/2007 - correction
                
Bonjour,

effectivement vous avez ici deux grandes notions philosophiques en présence (le temps et l'être, le moi, la personnalité profonde de l'individu), qu'il faut relier ou plus exactement mettre en parallèle. Notamment, vous avez raison, il s'agit bien ici de la notion de "conscience de soi" développée notamment par Bergson.

Pour cette première notion, il est effectivement intéressant de se demander ce que cela recouvre. Il s'agit en fait de faire retour sur soi, sur ses pensées, sur ses actes pour se convaincre soi-même qu'elles sont les nôtres, nous apercevoir qu'elles sont une émanation de notre personne, qu'elles sont ce que nous avons voulu qu'elles soient, et que notre influence en la matière est de tout premier ordre. Etre hors de soi c'est donc ne plus se rendre compte de cela, ne plus faire de retour. Etre hors de soi, c'est ne plus savoir ce qui nous est imputable, ne plus se rendre compte au final de ce que nous sommes et faisons. C'est ce que vous évoquez aussi via la notion d'altérité : ce retour nous permet au final, en sachant qui nous sommes, de nous mettre en opposition à tout le reste, et ainsi de finir de nous construire et nous identifier nous-mêmes. C'est la répétition de cette boucle qui est à l'origine du processus de conscience de soi.

Le temps de son côté est effectivement une notion très subjective, chacun en a ressenti différent, et il passe différemment selon les moments pour un même individu. C'est par nature, une notion à la fois immatérielle et ressentie, présente dans la vie de tous les jours. Mais c'est son côté fuyant, parfois presque imprenable, qui en fait une notion complexe car à la fois si réelle et si abstraite.

Le problème est effectivement que le processus de conscience de soi (car loin d'être instantané) demande beaucoup de temps, et des successions de remises en cause, c'est presque une quête. Mais le temps mis en jeu ici est-il du même ordre que le temps qui passe tout simplement, le temps au sens habituel du terme ? (on revient sur vos idées, je les formule un peu différents exprès pour vous donner une autre formulation des choses, un chemin un peu différent). D'ailleurs, votre citation de Kant et votre dernière idée sont déjà pour moi de l'ordre des arguments à mettre dans les parties plus que de la réflexion initiale. Vous êtes donc déjà allé plus loin; gardez ces points précieusement pour votre rédaction, le dernier argument notamment (qui amène à la conscience du temps, notion qui relie s'il en est nos deux idées de base, me semble très bon). Votre analyse sur le hors de soi en termes de conscience de soi me semble être l'idée maîtresse à identifier ici.

L'idée donc qui me semble se dégager de cette réflexion préliminaire en terme de problématique est la suivante : ne peut-on avoir conscience de soi que dans le temps qui passe, ce temps que nous ressentons et identifions tous naturellement ? (vous pouvez le formuler un peu différemment mais la question est là : sortir de la notion de temps et de son déroulement nous permet-il encore d'avoir conscience de nous, de faire retour sur soi ? ne peut-on avoir conscience qu'en arrêtant le temps, "en arrêtant le chronomètre" tellement ces deux temps sont différents ? ou au contraire, faire cet arrêt, nous empêche-t-il de redevenir conscients de nous-mêmes). Je retiendrais pour ma part la première formulation, plus ramassée, mais l'important est d'en choisir une qui soit pour vous la plus explicite et vous permette de rebondir de façon permanente via les éléments que vous avez en tête.

Ceci établi, pour un tel sujet assez complexe et poussé, vous pouvez toujours chercher un plan en trois parties en progression, mais ce n'est pas forcément évident. Adopter un plan dialectique plus classique vous permet de mettre en place une vraie réflexion construite avec des points de vue divergents donc une vraie discussion (le risque des autres plans est de ne défendre qu'un point de vue, sans avoir vraiment discuté l'autre ...). L'important au-delà du plan c'est de faire, comme on vous le demande, une vraie discussion, de bâtir une réflexion où il n'y a pas de bonne ou mauvaise réponse.

D'où deux premières parties (ordre à voir; souvent oui puis non; à voir en fait donc selon la formulation de question que vous retiendrez) :

* oui, c'est être hors du temps : il n'y a qu'un seul temps, celui qui passe et que l'on ressent, certes souvent différemment mais au final mesurable et quantifiable scientifiquement. Si l'on s'arrête, on sort de la vraie vie, de nos actions et nos pensées : comment faire retour sur tout cela puisque nous n'avons plus de repère (impossible de dater ce que nous avons fait par exemple ...). C'est le temps qui rythme nos vies, les définit. Nous n'existons que parce que nous pouvons faire telle chose à telle date : si cela n'est plus le cas, comment faire retour sur ces choses inexistantes ?

* mais il me faut du temps (long processus on l'a dit), or ce temps me trompe de par la perception que j'en ai. Il y a plusieurs phases dans ma vie, dans mes actes : ceux de l'action et ceux où je me replie sur moi-même. Il me faut me définir un autre temps, déconnecté du réel, pour faire retour, sinon comment faire, happé que je suis par tous les soucis quotidiens ? Le retour doit se faire dans un temps spécial justement, conduit en parallèle du vrai, et qui ne l'arrête que dans mon esprit mais c'est essentiel.

En synthèse (puis en conclusion après avoir rappelé les deux idées opposées de départ), on peut dire qu'il nous faut du temps pour faire retour sur nous (c'est un besoin de l'être humain finalement). Le problème c'est notre perception du temps, or même s'il n'existe qu'un seul temps à proprement parler, nous définissons nos propres échelles sans cesse, à chaque instant, en fonction du contexte. Nous ne sommes donc jamais vraiment hors du temps, nous prenons juste des moments pour poser les choses; nous pouvons toujours revenir au temps "global" défini par la société, mais ne pouvons faire autrement que de nous en échapper parfois. A ce moment-là, nous ne sommes pas hors de nous, bien au contraire, nous poursuivons le processus. Au début, nous y sommes quand même un peu et c'est le fait d'avoir l'impression d'être hors du temps qui nous permet peu à peu de faire ce retour et donc de le mettre à profit pour en ressortir grandi, conscient.

Comme vous le savez, on peut souvent se demander en philosophie dans une question dialectique, quelle est l'opinion commune et comment elle est défendue pour commencer et trouver des arguments. Ici, c'est loin d'être simple et immédiat. Au final, la position à laquelle nous aboutissons pourrait presque être une de ces opinions communes : au départ, être hors du temps nous "déconnecte", nous met hors de nous, au final, et parce que ce temps est toujours relié au "vrai", il nous permet de faire retour sur nous bel et bien.

Voilà donc à partir de votre bonne intéressante analyse de départ, légèrement reformulée, une possibilité d'angle à adopter avec un plan relativement simple finalement mais que vous développez à profit en menant une vraie réflexion à partir des positions et thèses présentées ci-dessus, et en exploitant notamment votre bibliographie (je connais moins Husserl, qui a par contre beaucoup réfléchi sur le temps, mais Bergson a de nombreuses thèses sur ce problème de la conscience de soi comme processus de retour sur soi que vous pouvez utiliser ici).

En espérant que ces éléments vous ont apporté un éclairage supplémentaire et persuadé que votre bonne analyse de départ vous donne toutes les clefs pour mener une réflexion intéressante, je vous souhaite un bon travail.
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