en une : Sujet : causes de la crise de 1929

Dissertation : la poésie et le réel

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La poésie

Te x t e
Philippe Jaccottet [1925], La Promenade sous les arbres, La Bibliothèque des Arts, Lausanne, Suisse.

[Le poète suisse Philippe Jaccottet a choisi ici la forme du dialogue pour présenter son
esthétique et sa vision du monde.]

L’AU T R E — Il est vrai, je me demande parfois s’il est juste d’aimer les arbres comme
vous le faites, et si vous ne vous égarez pas.
L’UN— Il n’y a qu’une chose dont je me soucie vraiment : le réel. Presque toute notre vie
est insensée, presque toute elle n’est qu’agitation et sueur de fantômes. S’il n’y avait ce
« presque », avec ce qu’il signifie, nous pourrions aussi bien nous avilir ou désespérer.
L’AUTRE — Je parlais de votre amour des arbres.
L’UN — Il n’est pas séparable de ce que j’ai dit. Venez que je vous en montre quelques-uns
qui parleront mieux que moi. Ce sont des peupliers et quelques saules; il y a une
r i v i ère auprès pour les nourrir, et une étendue d’herbe déjà, bien que nous soyons
encore en mars. C’est en ce mois que, dans les forêts qui avoisinent Paris, j’ai ressenti
pour la première fois peut-être à les voir une impression obscure et profonde, et maintenant
je la retrouve ici, où il n’y a plus guère de forêts, et presque point d’eau.
L’AUTRE — Je ne vois rien de si étrange pourtant.
L’UN — Il n’y a jamais rien de « si étrange » dans ce qui me fascine et me confond. Je
puis même dire en très peu de mots, et des plus simples, ce que nous avons sous les
y e u x: la lumière éclairant les troncs et les branchages nus de quelques arbres. Pourtant ,
quand je vis cela naguère, et maintenant que je la revois avec vous, je ne puis m’empêcher
de m’arrêter, d’écouter parler en moi une voix sourde, qui n’est pas celle de
tous les jours, qui est plus embarrassée, plus hésitante et néanmoins plus forte. Si je
la comprends bien, elle dit que le monde n’est pas ce que nous croyons qu’il est.
Écoute z - m o i : nous parlons d’ord i n a ire avec une voix de fantôme, et souvent, dans le
moment même que nous parlons, nous souffrons déjà d’avoir été si prompts et si
v a i n s ; car nous avons le sentiment que chaque mot dit après le fantôme est dit en pure
perte, et même qu’il ajoute encore à l’irréalité de notre monde; tandis que cette voixci,
avec son incertitude qui s’élève sans que rien ne l’étaie de l’extérieur et s’aventure
sans prudence hors de notre bouche, on dirait qu’elle est moins mensongère, bien
qu’elle puisse tromper davantage ; on dirait surtout qu’elle ranime le monde, qu’à travers
elle il prend de la consistance. C’est une voix, semble-t-il (et qui en serait sûr ? )
qui parle de choses réelles, qui nous oriente vers le réel.
L’A U T R E— Attendez. Il n’est pas aisé de vous suivre, et vous paraissez avoir oublié ces arbres .
L’UN — Quelle relation y a-t-il en effet de ces arbres à la naissance de cette voix? Les
mots dont je me suis servi il y a un instant pour les décrire, vous avez compris comme
moi qu’ils étaient loin de traduire ma fascination, et qu’ils relevaient encore, précisément,
du langage de fantôme. Prenez donc patience, écoutez-moi quelques instants de
plus; si j’essaie devant vous de corriger et de nourrir ce langage spectral, même si je
n’aboutis pas à la voix profonde, peut-être aurons-nous fait en chemin quelque découverte
propre à nous intéresser tous deux.
Te x t e
Philippe Jaccottet [1925], La Promenade sous les arbres, La Bibliothèque des Arts, Lausanne, Suisse.

L’AUTRE — Je feindrai donc d’avoir assez de loisir pour écouter.
L’UN — Dire comme je l’ai fait, à la légère, que ces arbres étaient nus, nous égare
déjà vers des souvenirs ou des rêves qui ne sont pas de saison; ces arbres sont beaux,
mais d’une beauté d’arbre. Ce que nous voyons d’eux, simplement, c’est le bois, encore
sans feuilles; sentez-vous que ce seul mot déjà, loin de nous égarer, nous aide
à pénétrer dans l’intimité de ce moment ? Quand nous considérons ces troncs nus et ces
branches, ou plutôt qu’ils nous sautent ainsi aux yeux, tout à coup, avec la brusquerie
et la fraîcheur de ce qu’un coup de projecteur illumine et révèle, c’est du bois que
nous voyons; et sans que nous le sachions clairement, je crois qu’au fond de nous est
touchée notre relation intime avec la matière essentielle à notre vie et presque constamment
présente en elle; et, sans que nous le sachions, encore une fois, ce sont plusieurs
états du bois qui apparaissent en nous dans la mémoire, créant par leur diversité un
espace et un temps pro f o n d s : ce peut être le tas de bois bûché devant la maison,
c ’ e s t - à - d ire l’hiver, le froid et le chaud, le bonheur menacé et préservé; les meubles
dans la chambre éclairés par les heures du jour ; des jouets même, très anciens, une
b arque peut-être ; l’épaisseur d’un tel mot est inépuisable ; mais nous n’en sentons
maintenant que l’épaisseur, et non pas les couches diverses dont je viens d’imaginer
q u e l q u e s - u n e s ; nous ne sommes donc pas dispersés, mais nous avons le sentiment
d’avoir posé le pied sur de profondes assises.
L’A U T R E — Ce n’est pas sans un rien de vraisemblance, et toutefois, je suis plein de doutes…
L’UN — Poursuivons quand même nos erreurs. Car l’essentiel n’est pas ce que j’appellerai
maintenant le « bois de mars » (et je devrais, pour être plus complet, vous
parler aussi de ce mois poignant); mais bien, une fois de plus dans ma vie de fantôme,
la lumière qui le touche.
Cette lumière, la plus commune des lumières de printemps, n’en a pas moins quelque
chose de surprenant: merveilleuse, et presque un peu effrayante, dure et cruelle. Elle
n’a rien des feux du soir, ni des cuivres de l’automne (cette boutique de chaudronnier ) ;
plutôt serait-elle un peu froide dans sa fragilité, comme quelque chose qui commence
et, par timidité, se raidit. Considérez que nous ne pensons pas au soleil en la voyant,
et que nous ne l’avons pas cherché ; car on dirait, vous ne le nierez pas, qu’elle est
plutôt la lumière même du bois, et que ce sont les arbres qui les éclairent…
L’AU T R E— J’espère que vous êtes conscient de l’extrême subjectivité de vos remarques ,
et que tout cela contredit gravement la vérité.

Te x t e
Philippe Jaccottet [1925], La Promenade sous les arbres, La Bibliothèque des Arts, Lausanne, Suisse.

Dissertation
Attendez-vous de la poésie qu’elle nous rapproche ou qu’elle nous libère de la réalité?
Vous tenterez de répondre à cette question en tenant compte des idées exprimées dans
le texte ci-dessus, mais aussi en faisant appel aux œuvres poétiques étudiées dans
l’année et à vos lectures personnelles.

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Devant des vers plus ou moins hermétiques, comme les poèmes des surréalistes par exemple, le lecteur perplexe peut être amené à se poser certaines questions quant à « l’utilité » ou plutôt la pertinence d’images un peu trop originales. Et la relation du poème à la réalité est pour beaucoup la question fondamentale. A quoi le poète fait-il allusion ? Quel message veut-il faire passer ? Quel était son état sentimental lors de l’écriture ? Toujours on met en parallèle poème et réalité, et souvent on conclue que c’est pure fantaisie et que le poème n’a rien à voir avec la réalité que nous connaissons. Plus rarement, on découvre derrière l’image sensationnelle une critique sévère de la société. Il semble donc que la question : « la poésie est-elle dirigée vers le réel pour nous y renvoyer ou bien est-elle un voyage libérateur qui nous soulage le temps d’une lecture du fardeau d’être un homme ? » soit à l’ordre du jour. Mais est-elle est vraiment appropriée, et la poésie n’est-elle pas autre chose qu’une fuite ou qu’une réécriture de la réalité ?

La poésie n’est ni une fuite de la réalité ni un moyen de s’en rapprocher, mais bien la création d’une nouvelle réalité qui exerce une influence réelle sur la vie réelle. En effet, le poète cherche à transformer la réalité, et ceci à deux niveaux.
D’une part, il cherche à modifier sa perception du réel, pour ressentir de nouvelles sensations. Il va vivre de nouveaux rapports avec le réel, et sa mission poétique va grandement influencer sa vie. Arthur Rimbaud, dans sa lettre datée du 15 mai 1871, affirme que « le poète se fait voyant par un long immense et raisonné dérèglement de tous les sens » te que sa mission est d’accéder à « l’inconnu », et que c’est cet inconnu qu’il relate dans ses poèmes. Ainsi, on peut penser au célèbre vers de Paul Eluard : « la terre est bleue comme une orange » à propos duquel on peut émettre l’hypothèse que, vue sous un certain angle et une certaine lumière, le fruit possède en effet des reflets bleus.
D’autre part, c’est à travers le langage qu’il tisse une nouvelle réalité. Le poète tisse des liens dans le langage par des unions inattendues et crée ainsi des rapports nouveaux dans la réalité. Des alliances de mots font naître des images qui donnent lieu à de nouvelles relations, de nouvelles idées. Ainsi, Rimbaud écrit : « J’ai tendu des cordes de clocher à clocher, des guirlandes de fenêtre à fenêtre, des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse » De cette manière, l’analogie que Baudelaire fait, dans le poème intitulé Spleen entre le « ciel bas et lourd » et un couvercle nous donne à voir le monde sous un autre angle, et nous pensons effectivement au ciel comme à une chape pesante qui nous oppresse.
La poésie est donc la création d’un univers original qui naît du langage. Mais c’est aussi autre chose : une force subversive qui modifie directement la réalité.

La poésie a le pouvoir, et la mission, de transformer le monde. En effet, de par sa forme et sa nature, elle est prédestinée à faire entendre le cri de ceux qui agissent au nom des valeurs humaines. La poésie touche notre sensibilité : elle doit donc transporter des valeurs auxquelles nous sommes sensibles, des valeurs qui nous touchent. Aussi, par sa forme courte, qui peut facilement être diffusé, et son langage imagé, qui peut être compris par tous, mais aussi par la force et la profondeur de ces mêmes images, la poésie possède un réel pouvoir subversif. De plus, usant sans cesse des figures de style, notamment les figures tropiques, la poésie est apte à passer la barrière de la censure. Enfin, elle possède souvent plusieurs niveaux de lecture, et permet donc de faire passer un message. Toutes ces caractéristiques, qui sont celles du langage propre à la poésie, lui confèrent donc le rôle de porte de parole de l’humanité, en quelque sorte. Ainsi, la poésie engagée d’une part, mais aussi toute forme de poésie se doit d’être le porte-parole de la réalité. De cette manière, Léopold Sédar Senghor, qui n’est pas à proprement parler un poète engagé, chante t-il la « négritude », le retour aux origines et à la culture africaine. La poésie est donc une force subversive qui a pour mission de changer la réalité. Et en même temps qu’elle défend les valeurs humaines, la poésie doit aussi redonner à l’homme un peu de son humanité.

La poésie relie l’homme à son identité. En effet, la réalité contemporaine se traduisant par une société de plus en plus individualiste, matérialiste, utilitaire et prosaïque, la poésie a pour rôle d’offrir au lecteur un instant de communion avec ce qu’il est, son essence d’être humain. Il s’agit bien d’un retour aux sources de l’humanité, ce qu’était l’homme avant d’être « transformé » ( certains diraient « dénaturé » ) par la société. La poésie lyrique, plus particulièrement, se veut l’expression de ce moi intime, et de ses sentiments. Par un processus d’identification, voire de catharsis, le lecteur se reconnaît dans les sentiments du poète, et s’en purge, ayant donné un nom ( ou une image ) à ce qu’il ne ressentait que vaguement. Et c’est un mission, un lutte pour l’humanité, au même titre que la poésie engagée, que la poésie lyrique mène afin d’offrir au lecteur qui lui accorde le temps gratuit d’une lecture, de renouer avec son humanité. De cette manière, la poésie amoureuse, comme le sonnet intitulé Je vis, je meurs de Louise Labé, permet au lecteur amoureux de reconnaître ce qu’il ressentait : des sentiments contradictoires, des sentiments très accentués, la perte de tous repères … dans ces vers : « Je vis, je meurs; je me brûle et me noie » et « ainsi Amour inconstamment me mène » La poésie est donc le porte-voix de l’humanité des hommes.

Nous avons donc vu que, loin d’être une fuite libératrice de la réalité ou un écrit réaliste qui viserait à présenter objectivement la vie réelle, la poésie créait une nouvelle réalité à partir du langage. C’est aussi à partir de ce langage qu’elle devient la voix de la condition humaine et agit aussi bien au niveau politique, avec la poésie engagée, que personnel, avec la poésie lyrique. Mais par quel moyen y parvient-elle ? Par le langage poétique, un langage propre, très différent de « la voix de fantôme » dont parle Philipe Jacottet.

Le langage poétique est « une voix sourde […] embarrassée, hésitante mais plus forte » En effet, le langage poétique n’est pas celui de tous les jours. Ce n’est pas seuls les mots employés qui font sens, mais aussi leurs sonorités, leurs rythmes, leurs organisations. L’harmonie imitative est une figure de style qui consiste à « accorder », en quelque sorte, la musique des mots avec leur sens. Ainsi, dans Andromaque, Racine écrit-il « Pour qui sont ses serpents qui sifflent sur nos têtes », une allitération en « s » qui évoque les serpents, présents dans le vers. De même le jeu des rythmes, encore plus subtile car dépendant de la lecture du texte, contribue au sens du texte, notamment à travers les rythmes binaires, évoquant le balancement, ou ternaires, ralentissement du vers, ou bien par les cadences mineures et majeures. La syntaxe – paratactique ou hypotaxique – entraîne un rythme tantôt haletant tantôt langoureux. La disposition paragraphique, quant à elle, prend surtout sens dans les calligrammes d’Apollinaire. La richesse de l’écriture poétique est encore renforcée par les images qu’elle présente, et l’une et l’autre – l’image et le mot – sont si étroitement mêlés qu’on ne sait plus lequel engendre l’autre : si l’image donne naissance aux vers ou si ce sont les mots qui construisent les symboles. Selon Philipe Jacottet, il est une « voix de tous les jours », une voix « spectrale » ou « langage de fantôme » qui vient s’opposer à cette « voix sourde, embarrassée, hésitante mais plus forte », qui serait « moins mensongère » mais qui pourrait « tromper d’avantage » On peut aisément reconnaître là toute la richesse du langage poétique, qui contraste avec la pauvreté lexicale et stylistique du langage familier, qui ne serait en effet, que l’ombre de lui-même, « une voix fantôme » Et de par son caractère exceptionnel, ce langage charrie une réalité très particulière : l’imaginaire.

Le langage poétique est la voix de l’imaginaire. Selon Philipe Jacottet, le mot a une certaine “épaisseur”, c’est à dire qu’il renvoie à différentes “couches” de réalité. Le mot a donc une portée générale : il désigne un concept qui englobe la réalité. Le mot “bois”, qui sert d’exemple à l’auteur, ne désigne pas seulement la réalité du “bois de mars”, la vision du narrateur, mais tous les objets qui répondent à la définition du terme “bois”. Ainsi, le mot n’est donc pas une reproduction fidèle de la réalité, puisque à la lecture ce sont “plusieurs états du bois qui apparaissent dans nos mémoires”. Le langage poétique renvoie à la fois à la réalité propre au poète et en même temps à celle du lecteur. Il y a donc un décalage entre ce que décrit le poète et ce que voit le lecteur. Et c’est ce décalage qui “nous égare vers des souvenirs ou des rêves”, puisque le mot a aussi une résonne personnelle chez le lecteur. Il doit l’interpréter selon sa sensibilité. Philipe Jacottet souligne la subjectivité de cette opération, qui met en jeu l’imaginaire, la mémoire, voire l’inconscient du lecteur. Ce dernier, par le jeu des évocations et des associations d’idées, puise dans sa mémoire ou dans sa fantaisie les images auxquelles les mots renvoient. Ainsi Philipe Jacottet voit, dans ce qu’il reconnaît être “la plus commune des lumières de printemps”, toute une sensibilité (“dure et cruelle”, “froide dans sa fragilité”, “se raidit par timidité”) Le langage poétique est donc le terrain idéal pour créer une nouvelle réalité.

Somme toute, la poésie est la création d’une nouvelle réalité à travers d’un nouveau langage. Cette nouvelle réalité permet à la fois au lecteur de changer sa propre réalité, mais aussi de renouer avec son essence d’être humain, avec son identité. Elle lui permet de mieux vivre sa vie. Mais n’est ce pas le rôle de toute forme d’expression artistique que d’offrir au public un miroir, ainsi qu’à la société ? De montrer « une » réalité, « la » réalité comme l’artiste la voit, la ressent ?
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